Aziz Daouda, Directeur Technique et du Développement : « L’Afrique possède un potentiel énorme »

M. le Directeur Technique et du Développement de la CAA, pouvez- vous faire l’état des lieux actuel de l’athlétisme africain à la lumière des derniers rendez-vous sportifs internationaux ?

C'est un honneur pour moi de répondre à vos questions et d'être l'un des premiers sollicités dans le cadre de ce nouveau programme de communication de la Confédération Africaine d'Athlétisme.
Concernant la situation technique de l'athlétisme en Afrique, nous avons constaté des progrès constants ces dernières années. En effet, l'Afrique est l'un des derniers continents à avoir émergé dans le domaine de l'athlétisme mondial. Pendant des décennies, l'Afrique était quasiment absente des podiums, et il était très difficile pour un athlète africain de gagner une médaille ou de figurer parmi les meilleurs au monde. Aujourd'hui, cela est devenu possible et se confirme de plus en plus.


Au cours des deux ou trois dernières décennies, l'Afrique a acquis une certaine notoriété dans plusieurs épreuves, au point où beaucoup pensaient que celles-ci étaient réservées aux seuls Africains. Cette situation a engendré la naturalisation d'un grand nombre d'athlètes africains qui représentent désormais des nationalités non africaines. Ce phénomène mérite d'être analysé.
À un moment donné, les athlètes africains ont établi une véritable hégémonie, remportant pratiquement sans difficulté des épreuves allant du 100 mètres au marathon. Certaines nations avaient peut-être estimé qu'il leur était devenu impossible de gagner des médailles dans ces disciplines, et elles s'étaient alors contentées de participer à des championnats en Amérique, en Europe ou en Asie.
Cependant, nous assistons aujourd'hui à un retour de ces pays vers les épreuves qu'ils avaient abandonnées, ce qui a conduit à une certaine perte de terrain pour l'Afrique. Par exemple, lors des derniers championnats du monde, nous n'avons pas remporté les médailles du 1500 m ni du 5000 m, ce qui est assez surprenant pour les athlètes africains. Nous avons également perdu quelques records du monde sur ces distances, notamment en salle, qui nous appartenaient auparavant.
Cela s'explique en partie par l'élargissement du nombre de participants et de pays engagés dans ces épreuves. Ce qui est encourageant, c'est de constater qu'il y a de plus en plus de pays africains qui réussissent à qualifier des athlètes. Lors de la dernière édition des championnats du monde à Budapest, nous avons eu plus d'athlètes et plus de pays africains qualifiés que jamais auparavant.
Le système de qualification est complexe, mais globalement, l'athlétisme africain se porte bien. Nous commençons à nous illustrer dans des épreuves où nous étions auparavant absents. Aujourd'hui, nous avons l'un des meilleurs sprinters du monde, le Botswanais Letsile Tebogo, et nous sommes finalistes dans presque toutes les épreuves de sprint, ce qui n'était pas le cas auparavant. De plus, nous avons un champion du monde au triple saut, un résultat que beaucoup auraient jugé impossible pour un Africain il y a encore dix ans.

On a noté des apparitions remarquées dans des épreuves comme le sprint avec le Botswanais Letsile TEBOGO, le Burkinabé Hugues Fabrice ZANGO au Triple-saut, la Nigériane TOBI AMUSAN au 100 m Haies…. Comment justifiez-vous ces résultats ?

Pendant très longtemps, on a pensé que les épreuves de sprint étaient réservées aux Américains, car ils avaient la technologie, la technique et les moyens nécessaires pour se préparer. Cependant, de plus en plus de fédérations dans le monde entier ont compris qu'il est possible de se préparer à ces épreuves avec un système différent de celui des Américains.
C'est ce qui se passe aujourd'hui en Afrique, notamment au Nigeria et en Côte d'Ivoire, où des centres de formation contribuent à améliorer les résultats en sprint sur le continent. Même au Kenya, des sprinters réalisent qu'ils ne sont pas condamnés à se spécialiser uniquement dans le demi-fond et qu'ils peuvent devenir de très bons sprinters.
Cette prise de conscience a conduit les Africains à travailler dans des épreuves qu'ils considéraient auparavant comme compliquées. Pourquoi cette évolution ? Tout d'abord, nous avons formé des entraîneurs qui sont confiants et qui possèdent un niveau de connaissance comparable à celui des entraîneurs américains, ce qui est significatif. L'importance de la formation des cadres ne doit pas être sous-estimée.
Nous avons le potentiel, car c'est très simple. Si vous regardez la population qui réussit en sprint aux États-Unis, elle est majoritairement d'origine africaine. Ainsi, avec environ 30 millions d'Afro-Américains aux États-Unis, il y a plus d'un milliard d'Africains sur le continent. Il est donc normal que le potentiel que l'on retrouve aux États-Unis existe également en Afrique.
Cette prise de conscience fait que nous sommes aujourd'hui de véritables concurrents dans les épreuves de sprint. Vous avez peut-être remarqué qu'aux derniers Jeux olympiques, nous avions de nombreux finalistes africains dans ces épreuves, et bien sûr, plusieurs médaillés également.

             En votre qualité de Directeur du Développement, quelle est la situation de la formation en Afrique surtout par rapport aux nombreuses réformes de WA sur les systèmes d’éducation et de certification ?

Je pense que la meilleure façon pour l'Afrique de continuer sa progression est de renforcer son programme de développement et de mise en valeur. L'Afrique avait un plan fondamental reposant sur la formation des cadres et des athlètes. À un moment donné, l'Afrique a réussi à établir cinq centres de préparation pour les athlètes, mis à la disposition des fédérations africaines qui n'avaient pas les moyens de préparer des athlètes sur leur sol.
Certains pays africains ont compris que la meilleure façon de préparer des athlètes est de les placer dans des conditions optimales, c'est-à-dire dans des centres spécialisés. Aujourd'hui, de plus en plus de pays africains ouvrent des centres et investissent des ressources. Dernièrement, l'Éthiopie a également mis en place son propre centre, et il existe des centres au Kenya, en Afrique du Sud, au Nigeria, ainsi qu'au Maroc, en Algérie, en Tunisie, etc.
La création de ces centres est la seule solution pour les Africains. Dans le monde, il existe deux systèmes qui produisent de la performance : le système américain avec ses universités, qui ne fonctionne qu'aux États-Unis, et le système européen avec des clubs puissants, subventionnés ou sponsorisés, disposant de moyens techniques et humains pour former des champions de haut niveau. Ce n'est pas le cas en Afrique. Aucune université africaine ne peut prétendre avoir les moyens de former des champions de très haut niveau, et aucun club africain n'a les ressources nécessaires pour y parvenir, en raison de divers facteurs, notamment le manque de financement et de sponsoring dans le domaine de l'athlétisme. La seule solution qui reste aux fédérations est d'ouvrir des centres de préparation où les athlètes peuvent, après des opérations de prospection minutieuses, rejoindre des jeunes talentueux et prometteurs. La performance résulte d'un potentiel humain mis en contact avec la science. Cette science est incarnée par l'entraîneur. La jonction entre ces deux composantes – le potentiel et la science – est ce qui génère la performance. Malheureusement, cela n'est possible en Afrique aujourd'hui que dans des centres de préparation.

Quel est l’avenir de l’athlétisme africain dans les prochaines échéances internationales ? Est-ce que dans les concours comme la PERCHE, le POIDS etc, l’Afrique peut titiller les Grands du monde… 

L'avenir de l'athlétisme africain semble radieux. Je constate des progrès significatifs, avec de plus en plus de pays africains qui s'impliquent. Cependant, parmi les 54 pays de la Confédération africaine, tous ne parviennent pas à se qualifier pour les championnats du monde ou les Jeux olympiques. Le système de qualification pose problème, car de nombreux pays manquent de ressources ou n'investissent pas suffisamment dans l'athlétisme.
Il existe des sports dominants qui accaparent presque tous les budgets sportifs, laissant peu ou pas de moyens aux fédérations d'athlétisme. Cependant, certains pays ont compris l'importance de s'inscrire dans une dynamique de développement, en adoptant des plans d'action sur dix ans. Nous les assistons dans cette démarche, en organisant des séminaires à Dakar, Nairobi, et ailleurs, pour unifier et adapter cette vision à chaque pays.
Les championnats des U18 et U20 témoignent d'énormes progrès. Lors des récents championnats du monde U20 au Pérou, la domination africaine a été marquante dans les épreuves de sprint, de saut et de demi-fond. Toutefois, certaines disciplines, comme le saut à la perche, présentent des défis particuliers. En Europe, il est facile de déplacer le matériel, tandis qu'en Afrique, le transport des perches est compliqué en raison des réglementations et des limitations des compagnies aériennes.
Il est essentiel que les instances dirigeantes révisent ces règles afin que les perches deviennent des équipements communs, comme les javelots ou les poids, mis à disposition des athlètes par les organisateurs. Cependant, les perches de haut niveau sont de plus en plus spécifiques et adaptées à chaque athlète, ce qui complique leur mise à disposition.
Malgré ces défis, les lanceurs africains se distinguent. Nous avons eu des champions du monde au javelot, et d'autres athlètes émergent dans les disciplines de lancer comme le poids, le disque et le marteau. L'Afrique progresse et il n'est pas exclu qu'un jour, nous voyions des champions du monde dans ces épreuves.
En somme, même si des obstacles demeurent, l'athlétisme africain est en pleine évolution et possède un potentiel énorme pour l'avenir.

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